Mon cher ami,
Voilà bien longtemps, mon cousin, qu’ont cessé nos échanges de correspondances, préoccupés que nous étions, vous et moi comme tous nos concitoyens, des ravages que causa et cause encore dans notre pays la pneumonie chinoise et qui poussèrent, il y a maintenant plus de trois mois, nos gouvernants à décréter l’érection volontaire de nos demeures en prisons sans geôlier. L’épidémie semble se déliter mais nous n’avons pas encore pris la réelle mesure des contrecoups probables des dispositions imposées par le palais. L’arrêt autoritaire des activités de nos manufactures et maisons de commerce pourrait en effet engendrer une dévastation dramatique du monde des affaires à un point que nous n’imaginons pas. Les tragédies déjà vécues par bon nombre d’aubergistes et de taverniers n’en constituent assurément que les prémices.
Je sais que notre bourgmestre, une nouvelle fois consacré au début du Printemps, a enfin pu reprendre officiellement les fonctions qu’il occupe depuis plus de six années et qu’il s’est conduit de façon exemplaire pendant la quarantaine imposée par la propagation du germe venu d’Extrême-Orient. Il a par exemple vaillamment défendu les intérêts de nos concitoyens en guerroyant victorieusement contre les stupides dispositions souhaitées par le Sénéchal du Département quant au marché dominical de notre place centrale. Quelle belle illustration de la sagesse exprimée dans les urnes !
Une vive inquiétude me taraude néanmoins depuis hier soir. Les résultats des élections aux hôtels de ville ont retenti comme un coup de tonnerre. Les candidats des petits oiseaux, associés comme à l’accoutumé aux vieux caciques du colonel Fabien et aux révolutionnaires agités qui revendiquent haut et fort leur insoumission, se sont imposés à la tête de plusieurs grandes cités, dont celle que tangente notre village. On notera au demeurant que le suffrage vert s’impose paradoxalement dans les grandes villes où milite l’élite fantaisiste que vous nommez « bobo » plus que dans les campagnes soignées par nos vrais paysans. Les habitants de la capitale voisine devront sans doute honorer de leurs espèces sonnantes et trébuchantes les rançons de leur choix sous forme de dîmes, tailles et gabelles que ne manqueront pas de lever les nouveaux maîtres des Terreaux. Nous-mêmes serons peut-être amenés à devoir verser un octroi pour accéder à la cité et y limiter la vitesse de nos déplacements à celle d’un âne au trot tout en respectant le privilège accordé par la doxa en vogue aux utilisateurs de vélocipèdes et autres véhicules à énergie humaine. Peut-être même y serons-nous interdits de séjour si nos berlines fonctionnent encore à l’huile lourde de pétrole qui fut tantôt pourtant si encouragée par les surintendants des finances qui se sont succédé à l’hôtel de Bercy.
Et Encore ne s’agirait-il là que de plaie d’argent dont il est de notoriété publique qu’elle n’est pas mortelle ? Nous nous en remettrons donc. Il se pourrait toutefois, selon quelques sombres augures, que les répercussions de la prise de pouvoir par les tenants du retour à l’autarcie des circuits courts, à l’usage des voitures à cheval et du télégraphe Chappe se révèlent encore plus catastrophiques qu’on ne l’imagine. La couleur verte déployée comme étendard de ces nouveaux ayatollahs, soulignent-ils, est la même que celle du Coran. Or on connaît la foi de ces doctrinaires en faveur du multiculturalisme, de l’accueil inconditionnel des migrants et de l’abolition des frontières nationales. Au totalitarisme vert des adeptes du retour à l’état de nature pourrait par conséquent succéder à plus ou moins long terme la dictature encore plus violente d’autres ayatollahs, mahométans ceux-là, guidés par le nouveau Sultan de la sublime porte qui rêve de reconquérir l’empire de Saladin et de convertir l’Europe mécréante par la force de la démographie alliée à celle du cimeterre autour de la Méditerranée.
D’ici là, nos nouveaux édiles auront sapé les fondements de notre civilisation judéo-chrétienne et préparé le terrain en engageant le retour aux techniques de troc et de production moyenâgeuses, en encourageant la paresse et en affirmant la prééminence de l’oisiveté sur le labeur.
Vous devez me trouver bien pessimiste, mon cousin, sans doute cela est-il dû à l’avancée de mon âge, mais ne dit-on pas que l’âge engendre l’expérience et l’expérience la sagesse ? Je serais bien aise en vérité de recevoir de votre jeunesse quelques arguments pour me contredire.
Dans cette attente, mon cher ami,
Je vous embrasse et demeure votre
François Marie